Le journal quotidien - non hétérophobe - de
Silvano Mangana (nom de plume Louis Arjaillès). Maison de confiance depuis 2007.

"La gravité est le plaisir des sots"
(Alexandre Vialatte)


lundi 22 février 2016

Tadzio : "chasser l'ombre écrasante"

Björn Andrésen en 2015
Ce n'était qu'un petit jeu cinématographique, dont le but était de retrouver, via le décor d'un hôtel vénitien défunt, le titre d'un film.
Certains commentaires ne se limitaient pas à la citation de Mort à Venise, dont l'un, que j'ai "modéré", supputant sur les "intentions" de Visconti envers son tout jeune acteur : le fait que le grand cinéaste demande à son jeune interprète, lors du "casting", d'ôter son pull était immédiatement interprété comme attentatoire à sa pudeur, faisant fi de la nécessité de se conformer au scénario - au roman de Mann, surtout, qui décrit dans le détail le personnage en tenue légère, à la plage !
C'est le lot d'Internet que de véhiculer des assertions fantaisistes, d'obscurs fantasmes, d’échafauder des thèses présentées comme vérités absolues.
L'adaptation à l'écran du roman de Thomas Mann ne serait guère envisageable de nos jours*, où l'on a appris à soupçonner à tout-va, même si l'opéra de Britten est encore à l'affiche de nombreux théâtres dans le monde, y compris, assez récemment, à la Fenice.
Je répète ici mon point de vue, que d'aucuns, toujours bien intentionnés, jugeront** naïf : je n'ai jamais vu un attrait de nature sexuelle dans la fascination qu'exerce sur un Aschenbach agonisant la beauté d'un garçon qui eût tout aussi bien être une fille.
Mais l'on ne pourra empêcher certains, nombreux de par le vaste monde, d'apprécier Mort à Venise, et, tout d'abord le jeune Tadzio, pour des raisons plus que suspectes qui corroborent malheureusement les
amalgames que d'autres ne manquent pas de faire.  

Björn Andrésen, c'est un fait, a fort mal vécu le succès d'un film qui s'est attaché à sa vie comme un boulet de forçat ; il serait malhonnête de ma part de ne pas l'évoquer.
Pour couper court (provisoirement), on lira l'article de Libération*** publié en 2005 (Andrésen avait 50 ans) dont j'ai retenu ceci :  "Aucune drague de la part de l'équipe (il pense que «Visconti avait été très clair sur ce point : on ne touche pas au gamin !») mais [c'est moi qui souligne] des pavanes à gogo, y compris de la part des «très bien élevés» Visconti et Bogarde, qui le baladent de bar en boîte homo «comme un trophée»."
45 ans après le tournage, pas facile de démêler, et Mort à Venise fera encore couler beaucoup d'encre ; et de fiel.

* En observant la période actuelle avec un peu d'attention, c'est à dire sans la très grande vitesse, proche de l'hystérie, qui caractérise nos boulimies de se créer des certitudes immédiates, on pourra constater que le gamin de 15 ans de 2015 est beaucoup plus "enfant" que celui des années 70, et ce, malgré l'accès à toutes les facettes de la vie sur terre qu'il peut à loisir découvrir sur les écrans qui constituent son lot quotidien. Il y a là un vrai paradoxe : peu prévenu (défaillance des parents, carences de l'éducation nationale), il a accès à toutes les formes de violence (dont la pornographie) et la consommation de cannabis a cru dans dans des proportions incommensurables par rapport à celle des jeunes du même âge de la génération de Björn Andrésen (lequel s'est bien rattrapé depuis, à l'en croire !).
Ce que l'on aurait pu qualifier autrefois d'expériences initiatiques n'est aujourd'hui que "modes" consommées de manière libre (?) et désordonnée.

** Nous sommes à l'heure des sentences hâtives se voulant définitives.

*** L'article de Libération : Que c'est triste Venise

Photo de tournage - Personnellement, j'aime bien le grand brun, au centre.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il n'y a aucun doute sur le fait qu'Aschenbach tombe passionnément amoureux de Tadzio. Dans l'opéra de Britten il dit je t'aime en le croisant.
Ce qu'en disait lui-même Thomas Mann est sans équivoque : « Ce que je voulais raconter à l'origine n'avait rien d'homosexuel ; c'était l'histoire du dernier amour de Goethe à soixante dix ans, pour Ulrike von Levetzow, une jeune fille de Marienbad : une histoire méchante, belle, grotesque, dérangeante qui est devenue La Mort à Venise. À cela s'est ajoutée l'expérience de ce voyage lyrique et personnel qui m'a décidé à pousser les choses à l'extrême en introduisant le thème de l'amour interdit. Le fait érotique est ici une aventure anti-bourgeoise, à la fois sensuelle et spirituelle. »
Une vraie passion, née sans le moindre échange intellectuel comme ici, ne peut être qu'un désir total de l'autre ce qui ne veut pas dire forcément qu'un rapport sexuel soit même rêvé, mais une certaine forme de possession physique si.
Il ne s'agit pas d'un simple plaisir esthétique à contempler un être vivant en passant : un beau cheval, un beau chat, une belle femme, un bel adolescent...

Dire cela n'est en aucun cas dire que Visconti désirait le jeune acteur !

Franck

Silvano a dit…

Franck, sur un prétendu désir de Visconti, ce n'est pas vous que j'évoquais.
Vos précisions sont fort utiles, même si elles bousculent l'idée que je me fais (faisais, ah, bravo !) de l'émotion d'Aschenbach.

estèf a dit…

Il y a la réalité et ce qu'on y voit soi-même. De mon côté, j'avais plus perçu cette attirance esthétique décrite par Silvano, peut-être n'ayant jamais trouvé Tadzio désirable étant verrouillé sur ce type d'attirance. Moi aussi je préfère le grand brun au centre...